Par StartnPlay
Publié le 7 mars 2022
Ses exploits sportifs en qualité de skipper professionnel sont connus de tous. Dans cette interview, nous allons tenter de connaître les motivations et les valeurs qui sous-tendent tout destin exceptionnel.
Marc, pour commencer, est-ce que vous pouvez vous présenter rapidement?
Oui, Marc Thiercelin, 61ans, je vis dans le sud de la France, à Toulon et je suis skipper de course au large professionnel. Actuellement je suis moins en activité, mais ça a été l’essentiel de ma vie. J’ai réalisé 5 tours du monde en solitaire, dont 4 Vendée Globe et deux fois deuxième, plus d’une vingtaine de courses transatlantiques, et + 300 compétitions en voile.
J’ai aussi d’autres cordes à mon arc, l’architecture, le travail du bois puisque j’ai été à l’école Boulle plus jeune. D’ailleurs, je me destinais à une carrière plutôt dans le domaine artistique au départ. J’ai aussi fondé des écoles de voile et j’ai enseigné cette discipline durant 15 ans. Ce qui fait que lorsque l’on m’a proposé, fin des années 90, de donner des conférences cela s’est fait naturellement. Depuis 1998, j’ai pris la parole devant plus de 500 entreprises et un bon demi-million de spectateurs.
Comment vous est venue votre passion pour la voile ? Vers quel âge ?
J’ai commencé la voile en Optimist à l’âge de 10 ans dans le sud de la France, puis j’ai continué en dériveur. J’ai entre autres préparé les Jeux Olympiques de Los Angeles. Au début mon objectif n’était pas professionnel, c’est venu plus tard. La mer a été le révélateur de ma personnalité. C’est un point important, d’un naturel introverti la passion de la mer m’a permis de m’ouvrir aux autres. J’y ai trouvé un terrain de jeu complet qui regroupe l’action, la compétition, l’ingénierie & la technologie, le tout en lien permanent avec et dans la nature. Le côté totalement professionnel a démarré en 1988. J’ai alors fait de ma passion un métier.
Vous avez participé en qualité de skipper professionnel à 4 Vendée Globes, qu’est-ce qui vous a le plus attiré dans cette course ?
Ce challenge m’a fasciné dès son annonce en 1988, j’ai suivi le premier Vendée Globe 89/90 que Titouan Lamazou a gagné. Le Vendée Globe c’est : « Faire le tour du monde seul, sans escale et sans assistance ». Ce qui m’a attiré, c’est le tour complet de notre planète, la compétition totale, une plongée de plusieurs mois sans stop dans la nature la plus pure et surtout d’être capable de vivre en autonomie totale.
Vous me parliez du fait d’être en solitaire. Comment supportez-vous cette solitude ? Comment le vit-on ?
Je suis un homme de contraste, j’ai cette capacité en moi de savoir être seul et d’apprécier également la vie de groupe. Je ne m’ennuie jamais, j’ai une vie intérieure très riche, c’est un des aspects de ma personnalité. J’ai eu la fierté de diriger plus de 300 salariés sur l’ensemble de ma carrière et une dizaine de grands projets. Préparer une course c’est une très grosse émulation d’équipe, vous êtes à fond sur plusieurs dizaines de sujets, vous devez aborder une quarantaine de métiers distincts et les maîtriser le plus possible. C’est un challenge assez vertigineux, être capable de transmettre à son équipe et ses fournisseurs tous les besoins et impératifs que l’on devra affronter en course et une fois seul sur l’eau, prouver à tous que l’on a bien anticipé pour réussir.
Aujourd’hui l’environnement des courses est différent, les courses sont très médiatisées et donc les relations avec la terre sont moins compliquées qu’à l’époque où l’on avait juste une radio BLU.
Vous avez un parcours surprenant, de la voile à l’école Boulle en passant par l’architecture, de l’exploit sportif à la présidence du théâtre liberté, comment expliquez-vous ce grand écart ?
Je me suis toujours tenu sur deux jambes, je simplifierais en disant que chez moi une « jambe » est plutôt artistique et créatrice, et que l’autre « jambe » est plutôt aventurière, compétitrice et tournée vers la nature et la mer. Mon but a été de tenter de les faire marcher ensemble. J’ai toujours dû me battre. Ce fut le cas pour suivre mes études dans une école prestigieuse face à des élèves plus âgés que moi mais aussi pour faire de la voile à haut niveau car c’est un sport qui coûte cher et je ne viens pas d’une famille aisée. J’ai profité de toutes les occasions offertes pour gagner de l’argent et pour financer ma passion. C’est aussi pour cela que j’ai décidé d’enseigner la voile afin d’avancer vers mes désirs de courses au large, que j’ai souvent navigué sur des bateaux prêtés, en construisant parallèlement la confiance de sponsors sur mon énergie, ma volonté et ma créativité à terre comme en mer.
Avant de devenir pro, il y eu également d’autres occasions comme celle à Rio au Brésil d’un projet de bateau qui est tombé à l’eau, et qui m’a obligé à chercher du travail sur place, et où j’ai réussi à occuper un temps un poste de directeur artistique dans la publicité. Quelque part, j’ai un côté « touche à tout », mais toujours, avec une vraie colonne vertébrale axée sur la mer, la nature, le défi aidé par la composante créative de ma personnalité.
Pour illustrer votre parcours très riche et varié, vous êtes le fondateur de l’Or Bleu, est ce que vous pouvez nous présenter un peu ce projet et son objectif ?
A l’été 2001, j’ai imaginé ce projet de fondation Or Bleu, après plusieurs années de constat que les métiers de la mer n’étaient pas représentés dans l’offre faite aux jeunes pour choisir leur avenir professionnel. Il faut savoir que l’économie maritime représente près d’un million d’emplois en France entre les emplois directs et indirects. Lorsqu’un jeune cherchait sa voie, il empruntait souvent celle de ses parents médecin, avocat, ou choisissait sa profession par rapport à des filières médiatisées… la communication, la santé, le juridique, etc.
J’ai alors imaginé une fondation qui parlerait de l’économie maritime et des métiers de la mer dans les univers scolaire et universitaire, de l’alternance, de l’apprentissage et dans le secteur aussi des jeunes adultes pour que, au même titre que le monde médical ou le monde du tertiaire, les jeunes puissent être mieux informés et avoir un choix plus large. Dans le même esprit, j’ai imaginé un « Cargo des métiers » sur le modèle du train pour l’emploi, un cargo itinérant pour promouvoir les métiers de la mer.
Vous avez été également partie prenante dans le projet des filières de talent. Il est donc clair que pour vous la transmission c’est quelque chose d’important ?
La transmission des savoirs est fondamentale, et c’est dans mon ADN depuis tout jeune. Il y eu les années d’enseignement, la formation de jeunes ingénieurs dans mes équipes, des coaching voile, et aujourd’hui mes conférences et coaching. J’aime transmettre et partager c’est inscrit en moi, cela se fait sans effort. Exemple, sur les 300 salariés que j’ai engagés dans ma carrière, il y eu beaucoup de 25/27 ans à qui j’ai pu mettre le pied à l’étrier, appuyer leur vocation, ensuite environ un tiers a fondé sa propre entreprise par la suite; c’est une véritable fierté pour moi.
Pour faire un parallèle avec votre rôle de conférencier, pourquoi avez-vous eu envie de devenir intervenant ?
La médiatisation de mon métier de skipper professionnel et les années de recherche de sponsors m’ont facilité le job dans la mesure où on a l’habitude de parler aux médias et devant des parterres d’individus donc j’ai saisi l’opportunité qu’on me proposait de faire des conférences, à partir de 1998. Je me suis prêté avec plaisir à l’exercice. Au départ c’était essentiellement basé sur mon vécu, puis j’ai fait évoluer mes conférences sur des thématiques plus pointues. J’ai parlé avec des publics très variés de tous les horizons professionnels allant de l’industrie à l’agro-alimentaire en passant par le domaine pharmaceutique, la finance, la politique…
Par ailleurs je suis passionné d’économie, je m’informe pas mal, je suis adepte de la démarche prospective et donc j’en nourris mes thématiques. Je m’adapte aux besoins des entreprises, à leurs questionnements et leur propose éventuellement des recommandations en termes de stratégie d’entreprise. Tout en sachant très bien qu’un individu comme moi est différent des cadres au parcours plus classique, et surtout je reste un entrepreneur dans l’âme, un entrepreneur qui a l’expérience de la création d’entreprise avec tous les risques que cela comporte humains et économiques. J’ai géré mes premiers salariés à l’âge de 20 ans.
Vous leur apportez une autre vision par votre vécu, un diagnostic extérieur mais vous les rejoignez dans les challenges que vous avez dû affronter !
C’est pour cette raison que j’aime bien cet exercice, parce que ça demande de se réinventer à chaque fois. De chercher au fond de soi et de son parcours des angles et des outils pas forcément traditionnels. Et…il est important de leur transmettre une énergie, un mouvement, et cela c’est quelque part mon truc.
Pour terminer cette interview, qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ces interventions ?
C’est la rencontre. Le plaisir immédiat d’échanger avec des personnes différentes de leur parler de mon parcours, de les écouter, d’essayer de faire se rencontrer nos vécus nos convictions et confronter nos visions du monde. C’est dans un deuxième temps la satisfaction de penser que cet échange a été utile, qu’il en est resté quelque chose, une réflexion, une inspiration parfois. J’aime que la conférence soit un échange vivant avec des questions et des débats qui parfois nous font aller plus loin que ce que nous avions prévu au départ et c’est en cela que c’est passionnant. Cela doit être interactif, aller dans les deux sens.
Un dernier mot ?
J’aimerai ajouter que mes meilleures conférences ont été celles que j’ai données juste avant le confinement. J’en ai gardé un souvenir très fort d’échange d’idées, de dialogue constructif. Ils n’étaient pas seulement venus écouter un « conférencier ayant fait des trucs hors norme et connu » mais pour y participer et cela a complètement changé l’expérience.
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